Jean Daniel Berclaz
Le plateau de Léoncel, site à fort caractère patrimonial, est le lieu choisi par le Parc naturel régional du Vercors pour mener une première réflexion.
La forte déprise agricole et une diminution importante de la population ont entraîné un « réemboisement » de ce territoire qui a pour conséquence une fermeture du paysage et le retour à un aspect « sauvage » parfois approuvé par le résidant occasionnel.
Mais cette vision esthétisante d’une certaine idée de « nature » ne fait pas l’unanimité. Elle s’oppose à celle de l’habitant qui a établi un lien quotidien et singulier avec son environnement. Jean Daniel Berclaz est l’artiste invité par le Parc pour explorer, en une sorte d’état des lieux, ce paysage singulier, protégé, à la fois touristique et peu pratiqué.
Il se propose dans un premier temps de rencontrer les habitants du territoire de Léoncel et d’entendre leurs points de vue sur ce paysage qui les entoure. Les points de vue très personnels de Ghyslaine, Philippe, Serge et Maurice sont partagés lors d’une restitution publique. Celle-ci se déroule sous la forme devernissages nomades du « Musée du Point de Vue » au cours d’une journée durant laquelle les spectateurs sont conviés à une contemplation festive des lieux choisis qui dessinent une cartographie sensible du territoire. Le parcours des habitants de Léoncel est accompagné d’une signalétique spécifique installée par Jean Daniel Berclaz et liée à l’iconographie de pictogrammes internationaux des points de vue touristiques.
Une exposition à la Halle de Pont en Royans restitue l’enregistrement des entretiens entre Jean Daniel Berclaz et les habitants de Léoncel. Elle présente également des photos de différents vernissages du Musée du Point de Vue en Europe ainsi qu’une boutique proposant, entre autres objets, une valise/kit de vernissage.
Le vernissage du Musée du point de vue © Jean Daniel BerclazSophie Ristelhueber
Après des années d’exode rural et de vision négative des campagnes, celles-ci jouissent à nouveau d’une image attractive dans la société française. Pour répondre aux attentes de consommation des nouveaux venus, certaines communes du Vercors s’engagent dans des aménagements successifs, provoquant l’apparition d’infrastructures qui modifient profondément l’organisation sociale et spatiale des villages. Des conflits d’usage et de représentation apparaissent entre les personnes chargées de l’aménagement, les visiteurs et les habitants, induisant un sentiment de perte d’identité de leur territoire.
On connaît le travail photographique rigoureux de Sophie Ristelhueber, sa fascination pour les traces, les cicatrices et les stigmates produits dans le paysage, souvent lors des conflits, de Beyrouth à la Cisjordanie ou aux Balkans. Photographies organisées en séries, qu’elle restituepar des livres d’artiste intimistes ou qu’elle expose dans des installations constituées de tiragesde grands formats. Avec Le chardon, film tourné dans le Vercors, Sophie Ristelhueber propose une nouvelle expérience prolongeant son travail qui interroge, par une observation méticuleuse et une extrême attention à la forme, l’écart entre la précision du style documentaire, la mémoire et la fiction.
Le chardon est guidé par un récit emprunté à Léon Tolstoï, prologue à son roman posthume Hadji Mourad qui se déroule au début du 19ème siècle lors des guerres du Caucase. Ce texte bref, relatant un souvenir de jeunesse émerveillé par la résistance de la nature, symbolisée par la vitalité du chardon, est aussi une métaphore chez l’écrivain de la résistance aux destructions visant l’être humain.
Du texte à l’image et d’un mode à l’autre, d’un plan fixe quasi photographique à trois travellings, le film suit le rythme du texte lu par Michel Piccoli. Sophie Ristelhueber s’est attachée à la roche suintante des gorges du canyon des Écouges et aux aplats des motifs du bitume d’une route rapiécée (Départementale 218). Images fermées, sans échappée ni horizon, scrutatrices, au plus près de la densité de la matière, de ses irrégularités, habitées par le texte de Tolstoï, tout de couleurs et de sensations, qui résonne à son tour avec les images.
Sophie Ristelhueber, temps de tournage © Jacques Bouquin Vidéogrammes du film Le Chardon © Sophie RistelhueberBethan Huws
Le Parc naturel régional du Vercors est attentif à la vallée de l’Isère et particulièrement à la nationale 532 qui permet d’accéder à des communes comme La Rivière, Izeron ou Saint Pierre de Chérennes. Ces villages sont convoités par une population urbaine désireuse d’installer sa résidence principale à proximité d’un « espace de pleine nature » mais aussi d’une importante voie de circulation.
Le flux permanent entre Valence et Grenoble, entre la ville et ces campagnes, provoque des déséquilibres et pose question quant au devenir d’un paysage idéalisé mais également consommé. En outre, ce territoire voit ses espaces publics soumis à une privatisation croissante.
La demande qui a été formulée à Bethan Huws visait une double articulation entre la vallée de l’Isère le long de la Départementale 1532 (ex. Nationale 532) et une installation à la Halle de Pont-en-Royans.
Dans cette zone en partie rurale en passe de devenir un espace pavillonaire périurbain, où se joue une forte mutation des usages, Bethan Huws a porté son attention sur les échanges, les liens tissés de la ville vers les villages avoisinants ainsi que ceux de la vallée vers le plateau situé en surplomb.
D’un long travail d’écoute, d’observation, émerge une proposition à deux facettes : l’implantation éphémère de textes in situ et la commande d’une enquête auprès des usagers qu’elle passe à une sociologue. Travail qui se complète de l’invitation qui lui est faite d’interveni simultanément dans un espace d’exposition.
Soient trois phrases implantées en trois lieux visibles de la route : « on enlève ses chaussures pour traverser le ruisseau » en lettrage jaune sur un séchoir à noix à Cognin-les-Gorges, « la tondeuse est difficile à mettre en route » de couleur bordeaux dans une parcelle entourée de noyers, à la Rivière et, « au fond du cerveau il y a une fontaine » en néon à proximité d’une fontaine à Izeron. Trois phrases appartenant à des registres différents, qui jouent des échanges et des interpénétrations de l’intime, du privé et de l’espace public, offrant une approche poétique attentive aux gestes les plus simples, souvent familiers. En associant ces textes brefs, l’enquête sociologique (qui sera publiée ultérieurement au sein d’un ouvrage à paraître en 2008) et l’accumulation de photographies prises au cours de ses repérages qu’elle réunit à La Halle, Bethan Huws ouvre trois régimes de visibilité et active les liens entre image et langage. D’un même mouvement à plusieurs détentes, elle confronte nos usages et leurs représentations, elle interroge les déplacements entre espace public et espace privé, en en soulignant les glissements et les ramifications.