Gilles Clément
L’association « Sur le sentier des Lauzes » s’interroge sur la notion d’« espace sauvage », lié au phénomène de déprise agricole, et à l’impact physique et culturel de cette évolution économique. Gilles Clément, paysagiste, a été invité à réfléchir à ces questions. Autrefois, sur ce territoire, la montagne était accessible parce qu’entièrement cultivée. Aujourd’hui, l’abandon des terres se traduit par l’enfrichement et la fermeture des paysages.
Mais, par ailleurs, l’embroussaillement favorise l’apparition de nouvelles essences végétales et de nouvelles espèces animales. Certains voient cette évolution comme un repli, alors que pour d’autres elle est synonyme d’aventure et de biodiversité. Gilles Clément propose la réalisation d’un ouvrage comprenant des textes et des dessins restituant l’ensemble de la réflexion qu’il a menée sur le territoire de la vallée de la Drobie.
Parallèlement, sur le terrain, il envisage une installation sans émergence, qui serait une halte sur un point haut du sentier des Lauzes mais légèrement à l’écart de celui-ci, à proximité de la Chapelle Saint-Régis entre Saint-Mélany et Dompnac. Le site est localisé dans le climat forestier naturel des monts d’Ardèche à sol acide, donc dans la yeuseraie, milieu peu considéré, traditionnellement réservé à la sauvagine. Il se place en belvédère dont l’angle de vision contient quelques traits remarquables du paysage de l’Ardèche autour de la Drobie, et en particulier l’effet « clairière» des terres aménagées et protégées, groupées autour des villages et entourées de forêts continues dominées par le châtaignier (vue sur Dompnac, village caractéristique d’une telle configuration).
L’installation consiste en un platelage de bois, horizontal et « rampant », composé de trois plateaux, semblant couler à même la roche et se pliant à la découpe des moindres reliefs. On y accède depuis le chemin par une sorte de dérivation, perçue comme une invitation à s’engager dans la yeuseraie.
Ce sentier traverse un boqueteau de chênes émondés puis de chênes tortueux aux formes remarquables pour atteindre une lande à genêts purgatifs qui conduit à la halte.
L’objectif de cette installation est de faire apparaître la diversité végétale, de la valoriser en la désignant comme territoire du futur biologique (Tiers-paysage) et de faire mesurer par le regard l’étendue considérable offerte à cette diversité.
Ivo Provoost & Simona Denicolai
L’espace des « clairières habitées », habitat regroupé en hameaux et villages implanté mi-pente, témoigne de l’occupation permanente depuis plusieurs siècles du territoire lequel se trouve le Parc naturel régional des Monts d’Ardèche. Si autrefois l’habitation occasionnelle était due à l’activité agricole, elle est liée aujourd’hui un développement résidentiel et touristique important et prend des formes variées – restauration des clèdes et granges, accueil dans des gîtes ou des campings aménagés, installation “sauvage“ de caravanes.
Ces nouvelles pratiques et des attitudes parfois consuméristes peuvent susciter des conflits avec les zones d’habitat permanent : l’habitat occasionnel peut poser des problèmes d’intégration dans le paysage, d’inadéquation avec l’environnement, d’illégalité des installations.
Par ailleurs, cette fréquentation saisonnière rend difficile l’implication des populations temporaires dans le développement local et le respect du territoire. Ivo Provoost et Simona Denicolai se sont intéressés à la notion de propriété et ont interrogé la cohabitation entre habitants permanents et occasionnels à travers l’élaboration concept de « copropriété temporaire ».
Il s’agit d’un processus dans lequel Ivo Provoost et Simona Denicolai sont dans la position l’intermédiaire-interprète. Ce processus permettra à tous, habitants permanents ou temporaires, visiteurs occasionnels, de s’engager dans une démarche visant à questionner leur propre rapport au paysage et à le responsabiliser.
Tout commence Au Bon Port, le café du village de St Mélany (vallée de la Drobie), où est déposé un tableau sur lequel sont accrochées environ 200 clés identiques. Ces clés sont vendues le prix d’une copie : 4 euros, par Yet Vanstaen, propriétaire du café et adhérente l’association « Sur le sentier des Lauzes ». L’achat d’une clé est attesté par un contrat et donne accès à une armoire installée par Simona, sur un terrain situé sur le hameau de La Coste et mis à disposition par sa propriétaire jusqu’en 2010.
Cette armoire, signe de l’aspect privatif voire presque intime de ce lieu, est vide à l’exception d’un livre d’or. Elle se présente donc comme le contenant possible, pour des durées variables, d’objets appartenant aux copropriétaires à venir et dont l’utilisation est nécessairement collective. L’armoire a également la fonction de boîte à lettres. Elle est construite en bois n’est pas positionnée dans le lieu comme une sculpture mais comme un outil faisant partie d’un dispositif plus important, s’intégrant à la façon d’un meuble dans un intérieur. L’armoire vide est l’outil qui rend, par sa présence, ce lieu accessible. D’autres éléments, partie prenante de ce processus viennent le compléter tels que l’aménagement du terrain avec les copropriétaires et l’impression d’un document qui pourra accompagner l’acquisition de la clé et donner des informations sur l’ensemble de ce travail.
Akio Suzuki
En 2007, l’artiste Akio Suzuki est invité à travailler sur la question du sentier.
Lié à un peuplement dispersé, le chemin a longtemps été considéré comme un élément fonctionnel, associé aux activités sociales et économiques. Il marque une présence, des activités de l’homme dans un environnement, établit le lien d’un hameau à un autre. Mais ce qui était chemin de nécessité s’est progressivement transformé en lieu de randonnée avec en parallèle une ouverture sur le paysage.
Toutefois, si ces mutations peuvent parfois conduire à des conflits d’usage, le chemin, ou sentier, reste le lien physique entre les hameaux, passage obligé d’une vallée à une autre, chargé d’histoire et d’imaginaire.
Akio Suzuki s’est attaché à révéler ce qui a été parfois enfoui. Pendant un mois, il a marché, exploré certains des sentiers de la vallée de la Drobie, cherchant les liens qui existaient entre les hameaux avant que les routes ne soient ouvertes. Attentif aux récits des habitants rencontrés et aux résonances sonore et visuelle, il a choisi de signaler huit points de vue et d’écoute par des « oto date » qui sont des emplacements localisés au sol par une plaque en ciment sur laquelle il a moulé un dessin représentant schématiquement « l’empreinte de deux oreilles en forme de pieds ». Puis il a demandé à trois personnes, rencontrées pendant son séjour, de choisir un lieu de localisation d’un « oto date », à Beaumont (hameau de Terre Rouge), à St-Mélany (hameaux de l’Espérière et du Charnier).
Dans la relation établie avec les caractéristiques de ce paysage, Akio Suzuki a recueilli de la terre ou des minéraux sur chacun des sites choisis afin de les mélanger au ciment et en nuancer la couleur.
Deux des « oto date » invitent à s’asseoir devant un mur incurvé, « sortes de chambres d’écoute » qu’il a construites en pierres sèches, selon le savoir-faire local. Ces haltes ponctuent un itinéraire qui part du sentier des Lauzes et s’en écarte pour ouvrir sur le Tanargue. Il sera accompagné d’une carte indiquant les emplacements des « oto date ».
Les « oto date » d’Akio Suzuki sont, pour le promeneur qui en fait l’expérience, autant d’ouvertures par le regard, de percées vers l’horizon, de liens et d’échos à percevoir, surplombant la vallée de la Drobie, au nord vers le Tanargue, au sud vers la cascade du saut de la dame et le col de la croix de fer.
Akio Suzuki, Oto-date – photos Pierre-Olivier Arnaud