Leurs interventions, présentées en plusieurs temps et en divers lieux–elles seront visibles dans un espace privé (un appartement investi pour l’occasion), dans l’espace public (les murs de la ville) et à art3- se feront également dans l’espace du livre dans deux publications spécifiques, l’une de Marisa Lerhmann, l’autre de Sabine Anne Deshais avec une contribution d’Anne-James Chaton.
Le travail de Marisa Lehrmann, jeune artiste allemande, est nourri de cinéma, de chanson, de littérature populaire comme des grands romans classiques. Elle y traque les images et les représentations de la femme et de la féminité. Puis elle les extrait, les isole ou les colle, les monte et les associe de façons diverses.
Son intervention à art3 articule la publication d’un livre d’artiste, une exposition de ses dessins et une installation. Fonctionnant sur un principe de déplacement et de recyclage, le livre, en deux fascicules liés mais indépendants, propose une série de texte et un ensemble de dessins. Les textes, énigmatiques, sont le fruit de collage de fragments de coupures de presse. Pour ses dessins, Marisa Lehrmann reprend au crayon les principaux contours d’images d’actrices (silhouettes avec décors et objets) des années 20 aux années 50. Elle produit ainsi des images qui suggèrent des situations ouvertes (et parfois stéréotypées) qui s’inscrivent alors dans un nouveau contexte, passant du film à la succession potentiellement narrative du livre. Et les deux parcours -écrit, visuel-, se croisent dans une mise en regard du texte comme image et de l’image comme texte. Regard sur le cinéma inscrit également dans trois projections présentées dans un appartement.
Sabine Anne Deshais propose une mise en abyme qui se déploie comme souvent dans son travail en une installation, un livre et une performance. La mise en scène de l’installation présentée à art3 reprend l’esthétique des motifs de la toile de Jouy –cotonnades imprimées fabriquées à partir de la fin du 18ème siècle, une des premières formes de production industrielle d’images. Ses propres motifs, érotiques -détournements de scènes champêtres puisées dans l’histoire de la peinture– se substituent aux motifs floraux et mythologiques habituels. Recouvrant la totalité de la surface du mur, ils enveloppent la reconstitution d’un coin de salon, avec canapé et téléviseur. Mais en guise de programme, ce téléviseur diffuse COOL !, un montage de photographies montrant des caméras de surveillance, images enregistrées au fil de ses pérégrinations dans diverses villes d’Europe. Montage dont l’univers sonore mêle des sons (de villes, de séries télé, de jeux vidéo, …) à la musique de Zwell, artiste avec qui Sabine Anne Deshais collabore régulièrement. Installation où les faits et gestes passent de l’univers de la surveillance à l’intimité surexposée par l’imagerie détournée affichée au mur. Images photographiques et dessins qu’elle confronte par superposition dans l’espace du livre. Involution du privé et du public qui se retrouvera lors d’une installation réalisée à partir d’un repas.
Poète sonore, essayiste, Anne-James Chaton se nourrit de l’univers quotidien apparemment le plus anodin, pour le dynamiter et lui restituer sa dimension politique. Utilisant aussi bien le livre, le disque ou la performance, son travail repose sur les principes d’accumulation -le plus souvent systématique-, de trace et d’indice.
Sa présence est ici multiple. Outre une intervention dans le livre de Sabine Anne Deshais, il a réalisé les portraits des deux autres artistes invités. Selon la procédure singulière qu’il a mise en place – et dont c’est la première mise en œuvre en tant que commande -, Anne-James Chaton leur a demandé de vider poches et sacs et d’en étaler le contenu sur la table : cartes, tickets, objets divers… Il en a noté scrupuleusement toutes les parties textuelles visibles, et les a reportées sous forme de texte, qu’il a fait agrandir et imprimer au format d’une affiche. Les portraits ainsi réalisés seront placardés sur les murs de Valence. Enfin, Anne-James Chaton fera une lecture-performance lors du vernissage.
Nicolas Feodoroff