À la suite de sa résidence en 2006 à Valence, Claude Horstmann réalise une exposition dans l’espace d’art3 On drawing on et une publication, Fortune drawing Drawings fortune. Ces deux propositions rendent compte de la principale préoccupation de l’artiste, le dessin, qui interroge l’espace, le langage, la photographie, ce medium tenant une place particulière sans sa production.
L’espace du livre et l’espace d’exposition sont abordés avec leurs caractéristiques propres dans l’intention de les dévoiler ou de les transformer. Ce travail s’effectue à partir de motifs en noir profond ou jaune vif présentés sur différents supports.
L’entretien qui suit propose de revenir sur certaines réalisations de Claude Horstmann pour comprendre ce qui est en jeu dans sa démarche.
Sylvie Vojik : En 2002 – 2003, tu réalises une commande pour le Landeskriminalamt Baden-Württemberg à Stuttgart (siège de la police judiciaire) et interviens dans le couloir, espace sobre, blanc, très long qui distribue les différentes portes des bureaux. Comment as-tu pensé cet espace ? As-tu tenu compte, par exemple, de l’ “activité » qui s’y mène ? Qu’as-tu finalement réalisé ?
Claude Horstmann : En un tel lieu, où tout est enquête, dépistage et preuve, je voulais faire quelque chose d’autonome : donner à voir des dessins muraux en un noir profond qui rythment l’espace et introduisent une autre lecture du couloir même. Les 25 motifs jouent avec ce qui existe (détails architecturaux, murs, plafond, portes) mais ils ne se soumettent pas au lieu et à son activité. Les dessins semblent résister à une identification et fixation, ils créent des angles de vue et des perspectives différents. Par leur principe d’ouverture, ils transforment et élargissent l’espace.
S.V. : Est-ce à dire que tes dessins muraux sont autant d’indices qui permettent une nouvelle identification du lieu, cet intérieur qui génère sa propre structure même invisible ou illisible ?
C.H. : Les dessins mettent en question une seule identification d’un lieu, ils le traversent et le dérangent. Une, parfois, tout autre dimension de l’espace est évoquée. Le moment de déchirer la surface avec le noir peut même être troublant avec certains motifs. Je crois que la tension entre un espace donné, ses mesures, ses connotations et cette autre « dimension », cet autre « image » obtenue avec d’autres procédés et regards peut être productive, surtout pour un lieu tellement connoté.
L’idée de l’emploi du mot intérieur me plaît ici, car il mentionne le fait d’habiter un espace. Par quoi un espace est défini ? Il y a toujours beaucoup d’éléments et d’aspects à prendre en compte. Dans le meilleur des cas, il y a aussi beaucoup de vide. Je crois que j’essaie en fait de détacher l’espace de ses fixations, d’ouvrir un potentiel qui touche à l’invisibilité.
S.V. : Justement l’habité est une exposition que tu as réalisée au Bon Accueil à Rennes en 2005. Tu as présenté une série d’oeuvres où cohabitent des dessins et des photographies prises dans la rue. Tu photographies des espaces « déjà là », des rues étroites à peine éclairées, une partie de mur sur lequel des mots ont été effacés. Une image emblématique prise à Marseille montre un endroit qui est entre un immeuble et une colline. Quelle place la photographie tient-elle dans ton travail et comment dialoguent le dessin et la photographie ? Y-a-t-il un moment où le dessin « peut » plus que la photographie ?
C.H. : J’ai découvert par la photographie qu’il existe dans le réel des parties vacantes ou inoccupées, des zones « blanches », libres ou indéterminées qui échappent à une définition ou fonction. Cela inspire mon travail de dessin pour trouver des formes autonomes, « négatives » (pas forcément des ombres), qui sont en même temps présentes et absentes. Je me sers très rarement de la photographie et c’est encore plus rare qu’une photo devienne autonome comme c’est le cas avec la série de photos sur Marseille. Dans mon travail, la discussion se fait toujours entre le dessin, la photographie et le langage. Je discute l’un
avec ou contre l’autre et je les combine souvent. C’est le côté plastique qui les lient : ce qui devient espace par les moyens utilisés et comment quelque chose peut créer un espace.
S.V. : Dans ton travail, les mots, les phrases sont dessinés, ou peuvent avoir un aspect sculptural, reliefs contre le mur, ou disposés au sol. Comme les éléments que tu prélèves dans le réel pour tes motifs picturaux, tu prélèves un ensemble de mots à partir de différents supports, afin de créer des séries où chaque entité est autonome mais peut aussi être lue dans un continuum, une histoire un peu abstraite mais poétique. Travailles-tu une complémentarité entre le dessin et les mots ? Qu’est-ce que ce jeu de langage nous dit du monde dans lequel nous évoluons ?
CH : Oui, on peut parler d’une complémentarité surtout quand je montre plusieurs travaux. Le spectateur se trouve dans un champ de différents énoncés qui sont liés, mais dont le sujet n’est pas le même. Ils ne s’illustrent pas. En ce qui concerne les textes, c’est un travail en soi. L’ensemble de mots crée une entité par rapport à son sujet et à son expression (comment et de quoi il parle). Par différents moyens (la suite du texte installé dans l’espace, le traitement du même matériau de base en différentes versions etc.),
j’essaie souvent de rendre la lecture libre. Ceci crée des mouvements (et parfois des contre mouvements) de sens et met en question les significations fixes. C’est un potentiel que le spectateur actualise selon sa perception. Le livre « Fortune drawings Drawing fortunes » produit à l’occasion de ma résidence et de l’exposition, montre un texte, mais aussi une « image » de texte. Il consiste en différents énoncés qu’on peut soit regarder en soi, soit lier entre eux. Dans la suite des pages, leur sens et leur construction se déplacent parfois. L’anglais me convenait ici parce que cette langue me permettait de jouer avec un côté
« banal » et en même temps « important ». Développant sa propre expression et un son « simple », le texte joue avec des lieux communs ainsi qu’avec les évidences, souhaits et désirs que tout le monde peut avoir. Il les actualise ou les relativise.
S.V. : Cette publication est une succession de mots récoltés, archivés depuis un certain temps que tu as choisi de dessiner. Le geste d’appropriation indique quelque chose de cette banalité ou lieu commun. Comment regardes-tu cela? Est-ce le caractère relatif dont tu viens de parler ?
C.H. : Je récolte les mots un peu partout, dans les journaux, les conversations. Ils trouvent un premier lieu dans mon cahier d’esquisses où ils figurent comme matériau. C’est une source d’inspiration et parfois je m’en sers pour travailler un texte. Dans le cas du livre, ce sont des phrases qu’on trouve dans les petits gâteaux asiatiques (fortune cookies) qui m’ont inspirées. Dans ce cas précis, c’est une appropriation de leur sonorité. Aucune phrase n’est prise telle quelle. Tout est construit et reconstruit pour travailler le texte qui développe enfin son propre caractère et autonomie. Ce genre d’énoncé, ce genre de promesse jouent avec ce qui est commun et individuel. Tout le monde sait qu’on tombe par pur hasard sur les phrases dans ces petits gâteaux, mais tout le monde espère aussi qu’elles deviennent une petite vérité personnelle. Ce qui m’intéresse, c’est le moment où le texte crée ce champ de lecture entre objectivité et subjectivité, entre lieu commun et évidence. L’aspect de relativité concerne plutôt la question quand et comment une phrase devient importante ou non.
S.V. : La publication propose différentes lectures ou amorce des histoires possibles. Elle sera présentée en parallèle à l’exposition à art3. Ce sont deux espaces avec leurs caractéristiques propres. Dans quelle histoire souhaites-tu t’inscrire ? Ces productions appartiennent-elles à une histoire en particulier ?
C.H. : Dans l’exposition, je montre des dessins sur différents supports : feuilles de papier et vinyl de dessin, livre, mur. L’histoire, disons le parti pris, est donnée par le titre de l’expo : ON DRAWING ON. Dans son expression presque programmatique, il indique que le sujet est le dessin comme pratique et domaine artistique, mais mentionne aussi une idée de continuum : dessiner encore, dessiner toujours, ne pas arrêter de dessiner. Cet aspect temporel me plaît ainsi que la mention d’une réflexion. Effectivement, mon intérêt concerne tout ce qui est de l’ordre de l’inscription : couche, surface, superposition, notation, langage pictural. Cela inclus aussi l’imprévisible, l’espace, le blanc, les conditions et matériaux qui existent dans un lieu. J’interviens dans ces espaces là. Un mur est un mur et on peut le prononcer, le transformer ou le faire vibrer. Ces effets spatiaux et plastiques sont possibles par un signe pictural ainsi que par un mot dessiné. De cette manière, les différentes productions dans mon travail ne sont pas très éloignées, même si elles développent leurs propres caractéristiques et formes.
S.V. : Les titres de certaines de tes expositions et dessins annoncent un processus en train de se faire. Tu as recours à la symétrie, une sorte de redoublement (par exemple, Fortune Drawings Drawing fortunes, ou called to be – to be called). Cette répétition m’intrigue. J’évoque cela en réaction à la mention de réflexion dans ta dernière réponse. Comment vois-tu ce processus ?
CH : Je peux dire que cette forme de répétition, de redoublement m’intrigue aussi beaucoup. Souvent quand je dis ou écris quelque chose (dans le travail artistique), je sens le désir de mentionner le contraire : cela me semble aussi vrai et possible (une de mes oeuvres s’appelle « texte/contre-texte »). Ce n’est pas une négation totale que je cherche, mais plutôt la possibilité d’un potentiel de signification. Comme s’il y avait une autre dimension du sujet. Il y a un effet de déplacement dans cette forme de répétition, un
mouvement de mots qui correspond à un mouvement de sens. Le fait de “tourner” quelques mots ou expressions les rend actifs et met en question cause, raison et linéarité. Je crois que c’est ici qu’une possibilité de réflexion se fait. Il faut être précis pour travailler et créer ces effets de « différence ». Pour moi c’est vraiment un travail plastique.
Entretien réalisé par Sylvie Vojik par courriels les 7 et 8 mars 2007.
Claude Horstmann est née en 1960 à Minden, elle vit et travaille à Stuttgart et Marseille
www.claudehorstmann.de
Etudes
1981-87 Histoire de l‘art, Universität Osnabrück, Diplôme équivalent DEA 1988-93 Akademie der Bildenden Künste Stuttgart 1995-97 Professeur de sculpture et de dessin à la Haute Ecole des Arts et Métiers de Pforzheim 1998 Prix Sybille-Assmus, Heidelberger Kunstverein, Résidence à Langeland, Danemark (3 mois) 1998-99 Professeur à l‘Akademie der Bildenden Künste Stuttgart 1999 Bourse du Ministerium für Wissenschaft, Forschung und Kunst du Baden-Württemberg pour la Cité Internationale des Arts-Paris (6 mois) 2001 Résidence Astérides, La Friche Belle de Mai, Marseille (8 mois) 2001 Aide à la création, Hermann-Haake-Stiftung, Schloss Monrepos, Ludwigsburg 2001-02 Commande Publique, Landeskriminalamt Baden-Württemberg 2004 Commande Publique, Robert-Bosch-Krankenhaus, Stuttgart 2005 Bourse dans le cadre des échanges d’artistes entre le Land Baden-Württemberg et la Région Rhône-Alpes 2006 Résidence art3, Valence (3 mois).
Expositions individuelles et performances (sélection)
2007 on drawing on, art3, Valence, publication
2007 Galerie OUI, Marseille, avec Emmanuelle Germain 2005 L’Habité, Bon Accueil/sepa, Rennes
2005 rest, Kunstmuseum Stuttgart, Performance
2004 zeichenzone (zone dessins), Galerie am Pfleghof, Tübingen
2003 x-olation room, Württembergischer Kunstverein Stuttgart avec Stéphane Le Mercier
Expositions collectives (sélection)
2006 XVe Bourse d’Art Monumental, Galerie Fernand Léger, Ivry-sur-Seine
2005 Break on through, Kunstverein Neuhausen
2004 what you see is what you get, Schloss Untergröningen, catalogue
2004 Körperbilder und Projektionen (Images du corps et projections), Shedhalle, Tübingen
Passage, Goethe Institut, Istanbul