Sarah Duby : texte de Pascal Thevenet

Pour peu que l’on survole la production de Sarah Duby, la nouvelle série exposée à art 3 marque un tournant avec ce qui fut montré auparavant : des paysages aériens, des portraits d’oiseaux en vol, des photographies de montagnes, des tirages noir et blanc ou en couleur, grands formats ou non. Et d’autres suites, plus formelles, où la matière première de la photographie, la lumière, est expérimentée, analysée dans une tentative de compréhension de son impact sur la perception.
Ce bref résumé des années d’avant, au regard des images ici accrochées, semble affirmer une dispersion tant l’hétérogénéité paraît prévaloir dans toute l’œuvre de Sarah Duby. Celle-ci écrit : « En parlant de ses poèmes, Emily Dickinson disait « my business is circumference ». Ce qui se construit dans mon travail suit cette idée d’aller d’élément en élément en élargissant petit à petit le cercle de visibilité. Chaque image amène à se replacer et à repenser les éléments qui la fondent ».
Plutôt que de dispersion s’agirait-il alors plus de diffusion ? Quel est l’écart entre ces deux termes dont le sens est si proche ? La diffusion est probablement moins aléatoire que la dispersion, ou du moins elle répond à un désir de contrôle comme l’attesterait son étymologie issue du latin impérial alors que celle de dispersion vient de la vulgate. Hors l’acception exacte de chacun des deux termes, il reste indéniable qu’il est question de mouvement, de flux. L’étude physique de la lumière établit la distinction entre dispersion et diffusion comme des interactions avec la matière. Ces échanges permettent de produire la couleur et de distinguer le volume. Considérer alors la photographie comme un arrêt du temps, un « instant décisif » serait donc impropre. C’est pourquoi Sarah Duby s’attelle à sa mise en mouvement.
Ainsi, cette image, première ou générique, noire, barrée de lignes et bandes verticales, est un état initial sans pour autant qu’elle ne se satisfasse de cette primordialité puisqu’une deuxième image montre une évolution avec l’apparition d’images dans celle-ci. Puis un triangle coloré, puis un papier blanc plié, puis des disparitions, sans parler des divers spectres lumineux, arc en ciel et flare* qui surgissent avec plus ou moins d’intensité et de régularité.
Gilles Deleuze écrivait dans Le pli : « […] le plus petit élément de labyrinthe est le pli, non pas le point, qui n’est jamais une partie mais une simple extrémité de la ligne ». S’il est souvent question en photographie de faire le point – un point qui, par ailleurs, n’est pas une quantité, donc il n’a pas d’existence physique ; il est signe et seulement signe – Sarah Duby ne pouvait, dans l’élaboration de cette suite d’images, utiliser le traditionnel appareil photographique. Elle a choisi le scanner. Alors que le diaphragme de l’appareil photo s’ouvre un temps donné pour laisser pénétrer une quantité de lumière, le scanner procède par un balayage, linéaire et plan. En cela, la photographie serait une capture (d’un flux lumineux) quand le scanner crée sa lumière pour recevoir l’image. Alors que l’appareil photo est un récepteur d’espace, le scanner est un générateur d’espace. Cette génération se fait graduellement, au fur et à mesure du passage des lumières, ligne par ligne. La ligne ne pouvant être constituée de points, puisqu’ils sont juste ce qui signifie l’extrémité de la ligne, celle-ci est faite, conformément à l’analyse deleuzienne, de plis, lequel pli pour le philosophe est l’unité de matière. Or que voit-on dans cette suite de Sarah Duby : des images d’un volume en bois constitué de plis, les mêmes images étant parfois pliées.  Nous voyons invariablement une double ligne verticale qui est la tranche de la plaque de verre faisant pli avec celle du scanner. Et des papiers, blancs, aquarellés qui se plient et se déplient au fil des images qui affirment leur différence dans la similitude, leur altérité dans la ressemblance. Elles acquièrent la qualité d ‘éléments dans le tout qu’est la suite, rejoignant la réflexion de Leibniz, qui, écoutant le son de l’océan, détermina que le plus infime bruissement de la plus petite vaguelette, ajouté à un autre, et à un autre, était l’élément constitutif du grand vacarme du flux et du reflux de l’eau.

C’est par cette absorption de la plus petite unité, du plus petit détail qu’un univers se constitue. Reste alors à définir si l’univers mis en place par Sarah Duby, avec une simplicité de moyens (documents sur un travail sculptural, papiers blancs et colorés, plaques de verre et scanner), se prolonge.  En effet, on ne peut pas tout déplier car on peut déplier à l’infini.

* flare : halos qui se forment dans l’objectif lorsqu’une source lumineuse ponctuelle se trouve dans l’image ou aux abords immédiats du cadre.

Pascal Thevenet, février 2012

 

 

Sarah Duby est née en 1984 à Mâcon. Elle vit et travaille à Paris.
Formation, bourses, résidences.
2010    Résidente au 6B, Saint-Denis – Projet de recherche et de documentation des ex-votos de Chypre, en collaboration avec E. Mou zourou. Bourse Coup de Coeur Défi Jeune.
2009    Résidence à la Cité Internationale des Arts, Paris
2008    Lauréate du Prix de Paris, Lyon
2008    DNSEP, ENSBA Lyon (avec les félicitations du jury)
2006    Master à l’Ecole de Cinéma et de Photographie de Prague (FAMU)
Bourse régionale (Rhône-Alpes) de formation à l’étranger (Prague)
2004    DNAP, ENSBA Lyon (avec mention)
Expositions
2012    dispersion, diffusion, absorption, art 3 Valence
2011    PaPaPa, Exposition collective, Galerie Arko, Nevers
Déplacer , KulturePalatz, Berlin
Interrompre, exposition collective, 6B, Saint-Denis (commissaire Kurt Forever)
2010    Mulhouse 10, Biennale de la jeune création contemporaine, Mulhouse.
Ouvrir, exposition collective, 6B, Saint-Denis (commissaire Kurt Forever)
2009    Exposition de Noël, Ancien Musée de Peinture de Grenoble – Le Magasin
Reconnaissances, exposition collective, Château des Adhémar, Montélimar
Displacement, exposition collective, Vorwerkstift, Hambourg
Les Enfants du Sabbat 10, exposition collective, Le Creux de l’Enfer, Thiers
2008    6 x 2, exposition personnelle, Galerie Vrais Rêves, Lyon.
En 1799, l’Entrée était déjà là, exposition collective, Ensba Lyon
2007    Grammaire de la ville, exposition collective, Goethe  Institut, Lyon (commissaires Joachim Blank, Florian  Ebner et Philippe Durand)
La Calavera – Projet curatorial en collaboration avec trois artistes